Le fameux local qui aura servi d'atelier commun à Arezki et Olivier est situé en bordure d'une galerie marchande traversant les immeubles du centre d'Ivry. Plus exactement, dans un appendice de la galerie marchande, assez désœuvré pour tout dire, avec une boutique de produits exotiques, un foyer social, un lieu de stockage ou d'exposition pour les artistes en résidence, un salon de coiffure qui semble fermé, et surtout (car ces boutiques n'ont rien de spectaculaire ni de très immédiat) deux escalators imposants qui montent sur une coursive. C'est dans ce même complexe architectural, sur l'avenue Georges Gosnat, que se situe la galerie Fernand Léger où leur exposition aura lieu. Je me souviens qu'en prenant possession de cet atelier temporaire, Olivier et Arezki avaient commencé par prendre en photo la vue qu'ils avaient sur l'extérieur, où se trouve un parvis, un passage vers les immeubles d'habitation – une vue découpée par les obliques de la baie vitrée – avant d'en obscurcir les vitres avec du blanc en souhaitant pouvoir, ainsi, y travailler plus sereinement. Aujourd'hui le local est presque vide, ce sont trois tableaux qui restent encore à achever avant l'accrochage – le reste est à la galerie, en cours d'installation. Nous rions un peu dans la tension des dernières heures de travail, je vais boire un demi avec Christine, et puis nous allons tous ensemble à la galerie où Olivier et Arezki doivent discuter du contenu et de la forme du catalogue. Leurs deux portraits ont été accrochés dans le hall, face à face : on passe ainsi sous leurs regards avant de pénétrer dans les salles. Dans la première, il y a la reprise des constructions fragiles de Trapeza et de l'image monumentale qui leur répond (elles ont été badigeonnées d'ocre et seront cette fois-ci présentées en coin, dans un triangle de terre battue, sur fond dessiné en trapèze et badigeonné d'ocre lui aussi). Dans la même salle, le grand montage minimaliste de boites en carton peintes en noir, les dessins de maisons, et les deux petits tableaux qui reprennent la grande construction de Trapeza. Celui d'Arezki est dans une gamme d'ocre et de marrons-verts tandis que celui d'Olivier a une tonalité plus duchampienne, en tous les cas plus contrastée et plus lumineuse. Dans la seconde salle, il y aura essentiellement les tableaux, grands et petits. Seul le grand tableau commun est en place, ainsi que trois petites toiles, les autres étant retournées et posées à terre ou en cours de finition à l'atelier. Dans une grande alcôve, les dessins à deux mains et les objets ou petites esquisses punaisées au mur au cours du travail, dont la fameuse petite guitare cubiste. Arezki a finalement déchiré toutes les esquisses des baigneuses, et la copie coloriée du tableau de Cézanne ne sera pas présentée. Travail caché, donc, ou plutôt avalé par tout le reste. Et le plus exaltant, comme un sentiment qui flotte dans ces deux salles où nous sommes seuls avec Christine, c'est la cohérence d'une pensée commune, dont la première salle rassemblerait les expérimentations plastiques, et la seconde le saut dans l'inconnu assumé dans la peinture, mais toujours à partir de ce récit et de cette réflexion élaborés en commun. Donc, le travail de laboratoire est ouvert, il reste ouvert, de chaque côté peut-être, et parce que le mouvement est dialectique. Non pas faire abstraction de tout ce qui a pu avoir lieu depuis Cézanne (toute la masse des événements artistiques et sociaux depuis 1900), bien au contraire, mais retraverser une ignorance, une ignorance de Cézanne en tant qu'autre, alors même qu'il leur est familier et fondateur. En tous les cas, et on le voit ici, Olivier et Arezki y ont mis en œuvre les moyens d'une renaissance. Parler de Cézanne pour parler du monde, c'est ainsi faire profiter de l'énergie propre à toute recherche, celle d'une possibilité. La possibilité d'un lieu, utopique ou non, mais s'inscrivant dans l'image et l'imaginaire comme un relai, et comme une caisse de résonance pour l'expérience individuelle et collective, et même, peut-être encore, comme une avant-scène du possible.
Pablo Durán